mardi 19 mai 2020

Tribune libre: point de vue sociologique

Le Phénomène des congés anticipés en Cote d’Ivoire est un mal qui perdure et qui afflige la société en général. Partant de là, nous avons sollicité le regard sociologique de Dr ANDJOU, sociologue de formation et enseignante de cette discipline.

LE PHÉNOMÈNE DES CONGÉS ANTICIPÉS DANS LES LYCÉES ET LES COLLÈGES

Origine du phénomène
‘’Les congés anticipés’’ est un phénomène social qui s’inscrit dans les violences scolaires. Ce n'est aussi pas un phénomène nouveau. Les historiens, les sociologues, les philosophes,….ont largement traité de cette violence. Durkheim reconnaît que l'enseignant doit faire preuve d'autorité en ayant parfois recours à la violence, violence considérée comme pratique normale et élément constitutif de l'enseignement. Dès l'antiquité, on retrouve l'idée de l'enfant turbulent, incontrôlable qu'il convient de « dresser » afin de se faire entendre. De telles pratiques ont longtemps perduré et apparaissaient comme un véritable rite de socialisation et d'attente de la vie adulte. (Jean-Louis LORRAIN, 2004)
Ce type de violence intégrative a eu pour conséquence une lente mutation des représentations de l'enfance qui a abouti à une dévalorisation de la violence des éducateurs conduisant à la révolte des élèves.
Dès lors, le phénomène des congés anticipé connaît une expansion dans les lycées et collèges en Côte d’Ivoire. Il devient pour les élèves, une manière d'asseoir et d’imposer leurs idéologies (l’arrêt des notes égal aux congés). Cette violence-là, Bourdieu et Passeron la qualifient de "violence symbolique" car, elle permet par le biais de l'habitus « de parvenir à imposer des significations et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force ».
Précisons que les lycéens et les collégiens sont en général des adolescents.L'aspect sociologique du phénomène des congés anticipés met l'aspect comportemental en avant. L'adolescence se caractérise ici dans l'affiliation ou l'assimilation à un groupe, à une bande pour combler le besoin d'identification et pour permettre de s'affirmer. Ces groupes ne peuvent être que des lieux de débordement et d'agressivité et où les confrontations diverses sont mises en œuvre pour tester la solidité des valeurs traditionnelles et à prendre plaisir dans la transgression de l'interdit. C'est la période de l'imprévisibilité aussi bien dans le comportement que dans la décision avec un refus de tout ordre établi, de revendication de liberté et d'indépendance: la période des conflits de génération. L'adolescent n'a plus la même vision que l'adulte et exige des solutions immédiates à des problèmes qu'il pose. Il est hypersensible et n'arrive pas à domestiquer ses désirs. Un rien suffirait à déclencher le conflit. Ainsi, le phénomène des congés anticipés est plus observé une semaine avant la date prévue pour les congés de Noël et de fin d’année, juste à l’arrêt des notes et au calcul des moyennes du premier trimestre. Une fois les notes arrêtées et les moyennes calculées, il n’y a pratiquement plus de devoirs notés, ni d’interrogations écritesjusqu’au retour des congés.
Date de départ
Les congés anticipés en Côte d'Ivoire sont devenus médiatiques depuis 1990 et n’a pas cessé de prospérer.
Les congés anticipés semblent s'inscrire tout particulièrement au cœur de l'ère démocratique du pays.Et on assiste à une recrudescence des actes de violence de la part des élèves et étudiants pour les revendications de toutes sortes devant particulièrement celles du départ pour les congés.
Ces faits de violence en milieu scolaire répétitifs et multiples se manifestent aussi bien au sein des établissements que dans les rues. La revendication des congés anticipés est marquée par des actes déviants comme la traversée du guerrier, les ‘’exploits de Zéna la guerrière’’….et le délogement des élèves des établissements par les membres ….lors de leurs revendications.

Lieu de naissance et mode propagation
- Mars 1990 manifestations de lycéens à Adzopé avec la mort de l'élève KPEA Dominé.
- Avril 1990: déferlement d'élèves du primaire et des lycées dans les rues d'Abidjan occasionnant des dommages à la SOTRA (191 bus endommagés et 240 millions de préjudices (selon la direction générale de la compagnie).
- Février 1992 : descente d'élèves dans les rues de Man suivie de vandalisme, pillage, destruction d'habitat, violences et voies de fait sur les agents de la sécurité.
- Mars 1992 : vandalisme et casses d'élèves à la direction du lycée moderne de Boundiali.
- Décembre 2000 : coups et blessures sur la personne d'un professeur à Tiassalé.
- Dans le courant des années 2000, des groupes d’élèves se réclamant de la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire), parfois violents, déferlaient sur des établissements publics et privés pour forcer l’administration et le corps enseignant à arrêter les cours avant la date indiquée pour les congés de Noël
Tous ces évènements montrent comment le milieu scolaire a été pris dans un cycle de violence que les autorités scolaires n'avaient pas prévu.
Mode opératoire
Une enquête sociologique a fait ressortir en outre, que des élèves sous l'emprise de certains psychotropes (des comprimés à caractère excitatif et de la drogue vendus par les commerçantes ambulantes) et de la boisson (maquis et bars aux abords des établissements scolaires), posent des actes de violence envers le personnel scolaire pour imposer leur diktat. 
1) Impact de phénomène sur la société ivoirienne
L’école est une institution sociale qui est régie par des lois. Elle a donc ses exigences, auxquelles tout citoyen désireux d’acquérir du savoir, devrait se conformer. Le respect de l’autorité n’est plus de mise à l’école : des élèves qui violent des enseignants. En Côte d’Ivoire, l’école n’est plus forcément le lieu de production des compétences et de promotion du mérite.
Ce phénomène remet en cause l’école en tant qu’une institution éducative puisque les élèves sont les purs produits de l’école.
2) Ce phénomène est classé dans une catégorie sociologique parce qu’il est un fait social.
3) Si aucune mesure n’est prise pour lutter contre ce phénomène dans un futur proche, l’échec scolaire marqué par le décrochage (sortir du  système sans diplôme)  et abandon. Dans un futur lointain, l’école devrait un lieu d’apprentissage des comportements déviants, perte de valeurs sociales.
4) Je ne parlerai pas de méthodes mais des pratiques éducatives pour lutter effacement contre ce phénomène : 
- Sensibilisation sur les conséquences de ce phénomène
- L’arrêt et le calcul des notes ne doivent pas précéder les congés
- Enchainement avec le trimestre suivant
5) Bien qu’on enregistre des morts dans la revendication des congés anticipés (un élève de troisième tué le 4 décembre 2019 à Anyama, à Daloa, un élève de Terminale tué le lundi 7 décembre 2019 et un élève de seconde d’un lycée de Dimbokro, tué également quelques jours après ), le phénomène des congés anticipés ne s’apparente à celui des enfants en conflit avec la loi. Car ces enfants tuent, volent et agressent la population à l’arme blancheLe non-respect de l’autorité explique aussi la persistance de ce phénomène de congés anticipés. Car, si les élèves avaient de la considération pour leur tutelle, ils se conformeraient au calendrier des congés scolaires.
  
                                                                                                                                                 Dr ANDJOU
                                                                                                                                                   Sociologue

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