jeudi 18 juin 2020


Reportage: Phénomène des congés anticipés. Dabou, la ville hantée par laviolence des congés anticipés


  Châteaubriand, lun des collèges privés les plus prisés de Dabou nest pas en marge du phénomène des congés anticipés, malgré son paisible et beau cadre, ses bâtiments neufs aux couleurs joviales, sa belle pelouse, et son corps éducatif engagé. Lun des élèves de cette école a été arrêté par la police puis fait prisonnier durant plusieurs jours. Cétait à lissue des manifestations orchestrées en collaboration avec des élèves dautres établissements de la ville pour aller plus tôt en congés, en décembre 2017. 
    Trois ans après, il est exactement midi et le soleil est au zénith quand nous arrivons dans le collège, théâtre des évènements. Des élèves en uniforme, bleu-blanc pour les filles et le kaki pour les garçons, repartis en une vingtaine par classe sempressent de copier les lignes du dernier cours de la matinée lorsque retentit la sirène marquant la fin des cours. Une fois sortis de classe, de petits attroupements se forment par affinité et se dirigent vers le portail principal, dans une atmosphère de cris, rigolades et éclats de rire. Nous avons tendu notre microphone à quelques élèves pour comprendre les manifestations de ce phénomène. « Les congés anticipés nous donnent du fil à retordre, durant toute lannée scolaire. Ce problème nous met en retard sur le programme normal des cours. Parfois, les sujets des examens de fin dannée nont pas été vus en classe à cause des perturbations dues aux congés anticipés. Et, cela dépeint sur les résultats de fin dannée et le taux de réussite aux examens », déplore Dja Victor, élève en classe de 3ème 4, sur un ton à la fois damertume et de colère. Comme lui, certains élèves évitent désormais dêtre des acteurs de ce phénomène et se préoccupent de son impact négatif sur leur cursus scolaire, de même que sur leur vie en général.  
   Cest le cas dOkobé Asy Bala Jeannette, élève en classe de 2ndeA1 : « Jamais je ne serai une actrice ou participante dune manifestation de ce genre. Je ne veux pas risquer ou gâcher ma vie. Mes parents paient cher pour mes études », prévient-elle, en soutenant : « Lun des élèves de ce collège a fait la prison pour avoir participé à une manifestation des congés anticipés. Je ne veux pas finir comme lui !». 
    Ces évènements datent du vendredi 11 décembre 2017. Date à laquelle les acteurs de ce fléau ont pris dassaut les établissements secondaires publics comme privés, à Dabou. Dans leuphorie et lincivisme, ces manifestants se sont mis à déloger les élèves des autres établissements de leurs salles de classe. Munis de gourdins, briques, cailloux et armes blanches, ils détruisaient des biens publics et privés sur leur passage. « Ce jour-là, Dabou était sens dessus dessous, la population ne savait plus à quel saint se vouer à cause de la violence qui régnait sur la ville », se souviennent encore les élèves de Chateaubriand où, tout comme dans dautres établissements, ladministration et certains élèves se sont farouchement opposés aux manifestants. « Etant dans un établissement privé, nous ne pouvons pas permettre une telle attitude chez nous. Et ce fameux 11 décembre, lun des manifestants a eu laudace de porter main à un professeur sans regret », se souvient Camille Lou Rydiouane.
   En dépit de la mise en garde des autorités, de lincarcération de certains acteurs et des pertes en vies humaines signalées dans dautres localités gagnées par ce phénomène, dautres élèves semblent prêts à tout pour récidiver. Généralement ce sont des élèves en classe intermédiaire qui donnent les premiers coups de sifflet marquant le début des perturbations : « Je participe aux manifestations des congés anticipés à chaque fois que loccasion se présente. Cest une manière pour moi de maffirmer et mexprimer en tant que femme. Cest loccasion de nous faire entendre. Mais pas forcément par la voie de la violence. Nous sommes même encouragés par certains membres du corps enseignant qui veulent plus de temps à passer dans leurs familles se trouvant à des milliers de kilomètres dici », confie Ange en classe de 4ème.
   Selon Isaac Makagnon, Educateur au Collège Châteaubriand, « lencadrement de lélève doit être ferme depuis la maison, pour que nous puissions le renforcer une fois à lécole. Pour mieux cerner ce fléau, afin de prétendre y mettre fin, il faudra une rencontre tripartite entre les parents, le corps éducatif et les élèves. Ces parties saccusent mutuellement dêtre le responsable du fléau. Chacun doit mettre balle à terre, pour, ensemble, trouver la solution idoine. Cest lavenir des élèves, des parents, des enseignants et de toute la société qui en dépend ». Pour le moment, Dabou continue de vivre tous les ans dans la hantise des violences pour les Congés anticipés. 
Melaine KONDON

mercredi 17 juin 2020

Billet: Décevant !


  Ainsi donc, chacun devient son propre chef ! Ils ferment leurs cahiers et livres pour décider de leurs congés à la place des autorités. Cest le phénomène des congés anticipés. En Côte dIvoire, ces dernières années, des élèves ne mettent plus en pratique les valeurs de civisme, de discipline et de respect de la hiérarchie. Pis, ils ne respectent même plus le calendrier scolaire établi par leur ministère Ils agissent à la place du ministre. Les décisions de lautorité ne sont point respectées, mais vivement contestées. Les esclaves sont sur les chevaux et les princes à terre ! Décevante, cette plaie béante qui affecte lavenir du pays.
Grâce Kouadio

Dossier: Les congés anticipés, un puits bien profond dans l'Ecole ivoirienne


  Reine Adon est élève au lycée Mamie Houphouët Fêtai de Bingerville, dans la banlieue abidjanaise, où elle reprend la classe de 3e. En dépit du confinement des populations en raison de la crise à Coronavirus, elle ne ferme pas ses cahiers : « Je mefforce à étudier au moins 10h par jour jusquà la rentrée », déclare-t-elle. A partir du programme détude quelle sest elle-même imposé, elle redouble defforts pour atteindre son objectif final qui est davoir son orientation, vu quelle fait pour la seconde fois la classe de 3e. Les interminables grèves, y compris celles du phénomène des « congés anticipés », lui ont beaucoup coûté. Et elle donnerait absolument tout pour ne plus subir les moqueries liées à son échec de lan dernier. 
   Contrairement à Reine, plusieurs élèves continuent dapprécier de manière démesurée les congés anticipés et oublient que ce phénomène peut avoir des conséquences assez graves sur leur avenir et sur celui de lécole ivoirienne dans son ensemble. Le phénomène des congés anticipés  le fait pour des élèves de perturber lécole et faire arrêter les cours plus tôt, avant la date des congés scolaires - a pris de lampleur ces dernières années. Les conséquences de ce délaissement consciencieux des cours sont catastrophiques. Car les meneurs auront beaucoup simplifié leurs manuvres, cela ne change rien au fait quils perturbent les cours dune manière ou dune autre.

Faible taux de réussite aux examens. Près de cinq ans maintenant que les élèves ivoiriens sont épris de cette opération aux s conséquences catastrophiques. En fait, les dégâts se font le plus remarquer en fin dannée. De 2015 à 2017 par exemple, le taux de réussite aux examens du BEPC et du baccalauréat sélève respectivement à 59,27% et 42,35% selon des statistiques de la Direction des Stratégies, de la Planification et des Statistiques (DSPS). Lécole ivoirienne a, réalisé, dans cet intervalle, des prouesses plutôt particulières dans le domaine de léducation. Mais les chamboulements survenus de 2018 à 2019 laissent sans voix. Les rendements obtenus tant par les élèves de la 3e que par ceux de la classe de Terminale connaissent des chutes respectives de 60,14% et 49,09 en 2018, et de 57,31% et 41,23% en 2019. On note une différence de 2,83% au Bepc et 4,86% au Bac.

Baisse du niveau des élèves. Le phénomène des congés anticipés doit interpeller les élèves sur leur avenir. Pourtant il leur procure de la joie. Cette insouciance dont ils font preuve vis-à-vis de cette situation place ce problème parmi les plus préoccupants du ministère de lEducation. Depuis 2011, le gouvernement fournit assez defforts pour renforcer léquipe pédagogique au sein de tous les établissements de la Côte dIvoire. Après des analyses bien poussées, il est ressorti cette difficulté pour les élèves, qui dans un premier temps, manquent de concentration pendant les cours, narrivent pas à les retenir et à bien les rendre lors des compositions. 

Mauvaise publicité. De la baisse du niveau des élèves aux tricheries en passant par le faible taux de réussite aux examens, on remarque un ternissement lent mais sûr de limage de notre système éducatif. Toutes ces conséquences discréditent lEducation ivoirienne. Le gouvernement semble avoir bien perçu ces déviations et met tout en uvre pour pallier une bonne fois pour toutes, ce problème qui évolue à une croissance fulgurante.

LEtat ivoirien face à la tricherie et à la fraude aux examens. Le phénomène des grèves et des congés anticipés, entre autres causes, conduit inévitablement les élèves à la tricherie. Ces habitués sadonnent à la facilité parce quincapables de donner des réponses quils nont pas connu dans les salles de classes. Heureusement que lEtat ivoirien a adopté face à cette délinquance, des mesures drastiques, à travers deux arrêtés relatifs à la fraude : Il sagit de larrêté interministériel n°0062 /MEN/MESRS/METFP/MCF/MFPRA du 25 juillet 2011 modifiant larrêté interministériel n°0047/MEN/MESRS/MEFP du 20 juin 1995 relatif aux sanctions en cas de fraude commise par les candidats et acteurs et portant régime des réclamations aux concours et examens organisés par le Ministère de lEducation nationale,              et de larrêté N°0074 /MENET-FP/DECO du 06 avril 2018 portant interdiction de support de communication numérique dans les centres pendant les examens et concours relevant du ministère de lEducation nationale de lEnseignement technique et de la Formation professionnelle.
   De plus, la ministre de lEducation nationale a mis en garde les élèves contre les cas de fraude, lors du lancement de la session 2018 des examens scolaires, le 24 mai à Alépé : « Désormais, cest la tolérance zéro », a-t-elle prévenu.



LUNESCO vole au secours de lEcole ivoirienne. Le gouvernement ivoirien nest pas seul face aux problèmes de lEcole ivoirienne. Pour un suivi plus approfondi du programme scolaire, lUNESCO a suggéré, comme solution, un ratio élèves/enseignant qui est, par définition, le nombre moyen délèves par enseignant dans un niveau denseignement donné, et pour une année scolaire donnée. Selon lUNESCO, un ratio normal est de 25 élèves par enseignant (voir site de linstitution). 
   Dans lune de ses études intitulées « Profil idéal dun enseignant au regard des lycéens dans lenseignement général public du district dAbidjan », Gboméné Hervé Zokou, docteur en sciences sociales de développement à lUniversité Félix-Houphouët Boigny de Cocody, explique comment la Côte dIvoire néglige cette proposition. Lauteur propose 60 élèves en moyenne dans le premier cycle et 50 autres élèves en moyenne dans le second cycle. Ce qui fait un total de 110 élèves par enseignant. Or lorsquon jette un coup dil aux effectifs délèves et denseignants enregistrés en 2018, soit 2.100.499 et 61.338, cela donne un ratio de 344 élèves par enseignant. 
   Autant deffort à fournir pour espérer venir à bout du phénomène des congés anticipés, un puits bien profond dans lEcole ivoirienne.
Dossier réalisé par
Diane Amon

CHRONIQUE: Le désordre à lécole, à qui la faute ?

  Dans cette société en pleine mutation, si lAfrique peine encore à prendre son envol dans le concert des grandes nations, cest parce que nos dirigeants nont pas encore compris que la formation efficiente de la jeunesse est la pierre angulaire de tout progrès.  Chez nous, en Côte dIvoire, la norme, ce sont les congés anticipés dans le système éducatif. Cette réalité némeut personne. Nos autorités semblent sy plaire. 
   Lannée dernière, nous avons assisté, comme des spectateurs attristés par le casting dun film dhorreur, à ces congés anticipés orchestrés par certains élèves en manque de repères.   A la fin de lannée académique, la Direction des Examens et Concours (DECO) a brandi, comme un trophée de guerre, le résultat. Il est sans appel : Plus 6.500 cas de fraude et de tricherie lors des examens à grand tirage. 
   A qui la faute ? A cette question de fond, il est difficile dapporter une réponse tranchée. Car, de toute évidence, nous avons laissé notre système éducatif entre les mains dune mafia appelée cyniquement Fédération estudiantine et scolaire de Côte dIvoire (Fesci).  Elle a la possibilité de gérer le calendrier scolaire selon les humeurs de ses leaders.  
   A qui la faute ?  Aucune idée. Parce que nous avons à la tête de nos institutions éducatives des personnes qui ne sont pas toujours des modèles. La faute nincombe sûrement pas à ces personnes qui ont leurs enfants ailleurs, dans les meilleures universités du monde, et qui gèrent notre éducation nationale. 
   A qui la faute ? Ce nest pas la faute aux parents non plus ! Certains dentre eux ne savent pas quun enfant, on léduque, on le nourrit, on lui donne des valeurs sociales pour quil ne soit pas une entrave à la vie communautaire. Ne leur demandez pas de faire ce quils ne savent pas !
                                                                                                 
                                                                                                                             Christian KOSSONOU

Interview

NDatin Koné (Fondateur de collège à Dabou) :  

« Les congés anticipés sont soutenus 
par des chefs détablissement ! »

  Grèves, manifestations, mouvements de foules. Voici le tumultueux quotidien des lycées et collèges de Dabou, chaque année avant le départ officiel pour les congés scolaires. Le mouvement des « congés anticipés » enclenchés par les élèves ne cesse de monter en puissance avec des élèves de plus en plus révoltés contre le calendrier officiel du ministère de lEducation Nationale. Cette situation déplorable sème la crainte au sein des établissements qui en paient les frais. M. NDatin Koné, Directeur et fondateur du Collège Châteaubriand de Dabou, nous en parle dans cet entretien. 

Monsieur le Directeur, selon nos informations, votre école vit aussi le phénomène des congés anticipés. A votre avis, quelles sont les raisons fondamentales qui poussent les élèves à réclamer des congés anticipés ?

NDatin Koné : Selon plusieurs élèves, les congés anticipés leur permettent de mieux préparer les fêtes. Ils trouvent également que le temps des congés est trop court dans le calendrier scolaire. 

Comment sorganisent ces mouvements dans votre collège ?
 NK: Par les téléphones portables, les élèves senvoient des messages et fixent un lieu de rendez-vous. Ensuite, ils se regroupent et arrivent dans chaque école choisie où à laide dun sifflet, ils alertent leurs camarades et leur demandent de sortir. Très souvent, les initiateurs lancent des pierres, des bouteilles, et brandissent des gourdins pour effrayer les élèves qui refusent de sortir des classes.

Lun de vos élèves a été arrêté et emprisonné à lissue de ces manifestations. Que sest-il passé exactement ?

NK: Effectivement, lun de nos élèves a été emprisonné mais reconnu non coupable après un procès au tribunal de Dabou. Il était accusé de destruction de biens publics pendant les manifestations pour des Congés anticipés. En ce qui nous concerne, nous navons fait que suivre la procédure judiciaire et essayé de calmer nos élèves qui voulaient passer par tous les moyens, y compris la violence, pour libérer leur camarade emprisonné. 

Les élèves sont-ils les uniques commanditaires de ses mouvements ? 

NK : Malheureusement non, ils sont soutenus par certains chefs détablissement. Lannée dernière, il y en a un qui a été pris en flagrant délit dincitation à ces violences. Il poussait les élèves à manifester et à faire la grève, moyennant la petite somme de 5000 FCFA.

Pourquoi, selon vous ?

NK: En fait, lenjeu principal serait de ne pas payer les enseignants à partir du moment où il ny a pas de cours. Cela diminue la masse de salaires mensuels et le fondateur gagne davantage dargent.

Et comment lautorité a-t-elle réagi ?

NK : De ce que je sais, le fondateur fautif a été convoqué pour répondre de ses actes. Mais, je nen sais pas davantage.

Quelles sont les conséquences sur le fonctionnement de ladministration dans votre établissement ?

NK : Bien évidemment, les grèves bousculent fortement le programme annuel. Ça nous donne même un double boulot quant à la programmation des cours et des devoirs. Mais je pense quau-delà de nos établissements, cette situation touche fortement le ministère de lEducation nationale.

Quelle stratégie mettez-vous en place pour lutter contre cette forme de délinquance juvénile ?

NK: Tout ce quon peut faire, cest de sensibiliser. Car de plus en plus, les élèves constatent que ces perturbations ne les arrangent pas non plus. Ici à Dabou, Madame le Procureur participe également chaque lundi au salut aux couleurs avec les élèves pour leur rappeler limportance du civisme et de la discipline contre les conséquences fâcheuses de ces congés anticipés. Quant à la Direction régionale de lEducation nationale (DREN), elle essaie tant bien que mal de nous aider. Et lune des innovations qui marche très bien ici, cest la mise en place dune période de composition régionale dune semaine avant les congés, afin doccuper lesprit des élèves et leur enlever lenvie de manifester. Mais là encore, certains fondateurs détablissements font fuiter les sujets pour inciter les élèves à ne pas composer en quittant plus tôt lécole. Tout ça, pour ne pas payer leurs surveillants.
                                                                                                                                           La rédaction 1

BILLET: Mesures drastiques pour quiétude !

Congés anticipés. Disons plutôt désordre, indiscipline et violence revendiqués !  N'est-ce pas ce qui se passe dans les établissements scolaires à l'approche des congés ? L'école ivoirienne, socle de l'apprentissage, devient aujourd'hui le socle de l'aliénation. Les élèves sy adonnent à des manigances et à de la violence, juste pour quelques semaines, sinon quelques jours d'absence. Congés anticipés, ça s'appelle. Ecoeurant, désolant, surtout révoltant ! Des actes de violence et de rébellion insensés qui laissent des blessures dans nos cursus scolaires et universitaires. C'est à juste titre que, quand les coupables sont saisis par les forces de l'ordre ou démasqués par leur propre établissement, ils sont envoyés pour fréquenter les Commissariats ou la prison. Ces mesures drastiques, il en faut pour la quiétude des lycées et collèges en Côte d'Ivoire.
 Wilfried DION

ENQUETE EXPRESSE: Face au phénomène des congés anticipés. Les administrations entre impuissance et réaction

   Groupe Scolaire Thanon Namanko, sis aux Vallons, à Cocody, la commune la plus huppée de la ville dAbidjan. Lêkê (chaussures plastiques) aux pieds, le visage badigeonné de craie et de kaolin, des élèves habillés en pantalons de couleur kaki perturbent les cours. Ils manifestent le désir dobtenir des congés anticipés. Cest la récréation et la cour de lécole est bondée délèves. 
   Bamogo Patindé, professeur de Physique-Chimie, habillé en polo vert, pantalon noir, le visage barbu, assis sur un banc sous le préau, affirme dun ton convaincant : « Les élèves sont amis entre eux et sont de différents lycées et collèges. Ils sont régulièrement en contact et se donnent des informations de même que  des fakenews, afin danticiper leur départ en congés, via les réseaux sociaux ». Pour lui, les élèves à la base de ces manifestations sont « les moins studieux du système ». Jean Eby, professeur despagnol, vêtu dun costume de couleur gris-cendre, cravate rose, sourire aux lèvres, renchérit : « ces perturbateurs  viennent avec des cailloux, des bâtons et des armes blanches ». Il déplore « linconscience de ces jeunes violents ». 
   Yopougon, la plus grande commune de la capitale économique ivoirienne, un peu plus au Nord de Cocody. Le mode de propagation du phénomène des congés anticipés est tout autre. Au Lycée professionnel Mohammed 6, vêtu dun pantalon noir, dune chemise et dune ceinture blanche, létudiant en hôtellerie Moïse Koffi explique le processus suivi pour perturber les établissements. « Dans cette école, la Fesci se sert des élèves et des étudiants pour boycotter les cours », révèle-t-il, les larmes aux yeux. Censeur dans ledit Lycée, Madame Touato, une belle femme au teint clair, la taille moyenne, la quarantaine bien révolue, révèle que « ladministration est incapable de les sanctionner parce quils sont couverts par la FESCI ». 
   Contrairement aux différents établissements visités à Abidjan, le Collège moderne dApprompronou, dans lIndénié Djuablin, à 239 kilomètres dAbidjan, donne le bon exemple. Ici, les membres de ladministration ont pris des mesures drastiques contre ces perturbateurs. Jeune rouquin, barbu, coiffé à (?) ras, avec une calvitie au milieu de la tête, le professeur danglais Soro Doma explique : « Le collège ne reste pas sans voix face à cette situation. Lannée dernière, nous avons conduit deux de nos élèves perturbateurs de cours au commissariat dAbengourou ». 
   Pour maintenir et endiguer ce phénomène des congés anticipés, certains enseignants proposent que les chefs détablissements organisent des tournois sportifs, des interclasses, des concours et des journées culturelles à une semaine des congés afin de maintenir les élèves dans les salles de classe.

Dochiéré KONE
Eunice TOUATO
Elodie SORO
Oumou KARABOUALY

Interview

Bonneffort Douhou (ex-meneurs de grèves) :

« Nous ne préméditions pas 
les congés anticipés »



Ex-membre de la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte dIvoire (FESCI), Douhou Mondjibi Bonneffort a plusieurs fois mené des actions qui ont abouti à des congés anticipés. Il en explique, ici, la démarche et lobjectif.

Comment expliquez-vous que de simples grèves puissent aboutir à des congés anticipés ?

Nous ne préméditions pas les congés anticipés. Avant toute chose, nous organisons une réunion sous la présidence du Secrétaire général de la FESCI. Une fois la réunion terminée, nous déposons à ladministration une lettre contenant nos besoins. Le responsable de létablissement a jusquà 72 heures pour y répondre. Il ny a pas dinterruption des cours si nous obtenons gain de cause, dans le cas contraire, nous manifestons et lui imposons un ultimatum. Et si lultimatum nest toujours pas pris en compte, nous prenons le soin de renvoyer tous les élèves à la maison jusquà nouvel ordre.

Comment étiez-vous vous vu par vos professeurs ?

En tant quêtre humain, il est impossible de plaire à tout le monde. Si certains enseignants nous considéraient comme des perturbateurs de cours et des élèves inconscients, dautres voyaient en nous des héros, des leaders. Ils nous considéraient comme des élèves qui se battaient tout en risquant leur avenir pour que leurs droits soient respectés. Et ils nous en félicitaient.

Aujourdhui, cela vous pose-t-il problème dans votre vie professionnelle ? 

Absolument pas ! Quand je pense à tous mes amis qui ont raté leur vie à cause de ce phénomène, je me considère comme un gagnant. De plus, ça ma ouvert beaucoup de portes en termes de relation. Dans ma ville, je suis reconnu par les autorités comme un leader dopinions. Aujourdhui je suis un électricien en bâtiment qui gagne bien sa vie. Je nai sincèrement rien à envier à personne. Etre membre de la FESCI requiert de nombreuses capacités telles que lintelligence, la ruse et bien dautres. Nous avons mené des grèves pour de bonnes causes. Et à chaque opération, nous attendions le mot dordre du Secrétaire général, ce qui signifie que nous ne sommes pas des voyous et que nous travaillions pour nos amis. 

                                                                                                          Propos recueillis par Diane Amon

BILLET: Faut y mettre fin !


 C'est décevant : des élèves réclament des congés anticipés juste pour aller samuser avec leurs amis au lieu dapprofondir leurs connaissances. Ces inconscients sèment la pagaille dans les différents établissements et empêchent les autres de suivre correctement les cours. Ils passent par tous les moyens pour arriver à leurs fins, y compris ôter la vie à certains de leurs amis. Les proviseurs et directeurs impuissants, les autorités ministérielles doivent prendre des mesures fermes pour éradiquer cette plaie de notre société. 
                                                                                                Elodie SORO

Billet: Quelle inconscience !

Lécole ivoirienne va mal. Elle va même très mal. Les élèves, ces jeunes gens censés être lespoir de ce pays, sont ceux-là même qui militent pour la fermeture sa fermeture, à tout moment. Pourquoi ? Nous nen savons presque rien ou du moins, nous avons peur den parler. Violence incontrôlables à quelques jours des congés. Fermeture prématurée des salles de classe. Cours interrompus. Joie des initiateurs et perturbateurs. Quelle inconscience !!!                                   
                                                                                                                                            Fatou Sidibé

INTERVIEW


Djo Bi Franck (emprisonné pour Congés anticipés) : 

« Je suis toujours indexé 
comme un mauvais enfant»

Djo Bi Irié Franck est élève en classe de Terminale A au Collège Chateaubriand de Dabou. En décembre 2017, participant à des manifestations orchestrées avec ces camarades pour perturber les cours et partir plus tôt en congés de Noël et du Nouvel an, Djo Bi Irié a été emprisonné. Après une dizaine de jours en prison pour destruction de biens et troubles à lordre public, il a été reconnu non-coupable dans un procès atypique. Il a accepté de nous parler des événements qui ont conduit à son arrestation.

Monsieur Djo Bi Irié Franck, chaque année, début décembre, les élèves entreprennent des mouvements de foule pour aller plus tôt en congés de Noël et du Nouvel an. Qui en sont, selon vous, les véritables acteurs de ce fléau ?

Djo Bi Franck : Ce sont principalement les élèves des Ecoles publiques qui sont la base du mouvement. Et par la suite ceux du privé sen mêlent.
Comment sont-ils organisés ?
Ces groupes sont formés et constitués de leaders des précédentes manifestations. 

Quelles ont été vos motivations ?

DBF: Leffet de groupe et lenvie dêtre au centre de laction. 

Comment procédiez-vous ?
DBF: Avant le jour de la manifestation, une réunion se tient avec les leaders de chaque école. Lors de cette réunion, on établit les stratégies, lheure, et le mode opératoire, ainsi que le mot dordre. Le jour-j, et à lheure prévue, chaque leader et son groupe commencent à manifester par des coups de sifflet. Si ladministration et les élèves ne cèdent pas, le leader appelle ou envoie des SMS à dautres leaders qui le rejoignent afin datteindre lobjectif fixé.

Vous avez été arrêté et emprisonné
DBF: Oui, j'ai été enfermé pendant neuf (9) jours dont un jour en boîte et huit autres à la grande prison de Dabou, en décembre 2017. Les congés étaient prévus pour le 21 décembre, et nous avons décidé dy aller plus tôt, soit le 11.  Le 21, cétait trop loin pour nous, car on voulait plus de temps pour les congés. Ce jour-là, cétait la violence dans toutes les écoles de la ville, publiques comme privées. On délogeait les élèves de gré ou de force, malgré la police à nos trousses. Lambiance était très tendue. Il y a eu des destructions de biens publics et des blessés.

Vous avez été jugé et acquitté. Quelle était lambiance lors du procès et après votre libération ?
DBF: D'abord, je suis arrivé à la grande prison un jour après mon arrestation. La juge vient me trouver et m'informe que mon procès aura lieu le jeudi. Au jour fixé, le garde pénitencier fait l'appel des détenus et je nentends pas mon nom. C'était comme si le ciel me tombait dessus. Langoisse et le stress sinstallèrent, et je pris conscience de mon acte et de ma situation. Pendant ce temps, mes amis et élèves de la ville plaidaient auprès du procureur pour ma libération. Une semaine après, mon nom figurait sur liste des détenus à juger.     
    Le jour du procès, les policiers mont escorté jusquà la salle daudience. Pendant que j'attendais mon tour à la barre, j'entendis des cris de manifestation, des coups de cailloux sur le toit de la salle d'audience, des coups de sifflet. C'est à ce moment que le procureur m'appelle à la barre des accusés et proclame mon verdict qui stipule que j'étais libre. Ouf ! Mon soulagement fut total. A ma sortie de la salle d'audience, je fus accueilli par les élèves comme un héros...

Vous considérez-vous vraiment comme un héros ? DBF: (Il soupire et baisse la tête). Je suis toujours indexé comme un mauvais enfant ayant un impact négatif sur les jeunes.
Quelles ont été les conséquences sur votre vie scolaire et sociale ?
   Je suis stigmatisé et ce nest pas facile de vivre ainsi au       sein dune société. Outre cela, jai un casier judiciaire qui est taché par cet acte et cela me suivra toute ma vie, où que jaille, quoi que je fasse.

Etes-vous prêt à recommencer ?
DBF : Non, plus jamais de la vie ! Jai pris conscience que ce sont des mouvements et réactions de foule. Une grave erreur ! La prison ma ouvert les yeux et lorsque j'ai vu ma maman couler des larmes à mon procès, j'ai juré de ne plus la mettre dans une telle situation. Je regrette mon acte et davoir sali limage de ma famille et agi comme si ma mère ne mavait pas donné déducation. Je navais pas pensé aux sacrifices quelle faisait pour moi, et à la peine quelle pouvait ressentir en voyant son fils que je suis, là où jétais.

Quels messages pouvez-vous donner aux élèves qui continuent dagir comme vous à lépoque ? 
 DBF : Le seul conseil que je peux donner aux élèves, aux générations actuelles et à venir, c'est de ne jamais céder à l'effet de groupe. Chacun est responsable de son destin et de ses actes. Si tu commets une faute, tu seras le seul à faire face à la justice. Les élèves doivent se servir de mon cas pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Ils doivent penser aux sacrifices de leurs parents.
Interview réalisée par 
La rédaction 1

BILLET: Sortez, y a pas cours !

   Ils sont logés en début d'année, mais demandent à être délogés quand cela leur sied. Les élèves transforment nos établissements en champs de bataille à l'approche des congés scolaires. Cette période reste l'un des moments favoris pour eux. Ils n'attendent que la suspension des cours et ne mesurent pas la gravité des dégâts physiques, moraux et matériels que ce vacarme pourrait engendrer. Tout ce qu'ils souhaitent entendre : « Il n'y a pas cours, rentrez chez vous ! ». Comment terminer le programme scolaire ? Comment valider l'année ? Comment réussir à leurs examens de fin d'année ? Ils sen fichent. Leur souci majeur ? « Anticiper les congés ! ». Quelle inconscience ! A croire qu'ils ne savent pas pourquoi ils sont élèves. Or, ils restent de pauvres apprenants, qui ont besoin d'apprendre.
                                                Kadhy Sanogo

EDITORIAL: Cest la faute à tous !

«Qui suit les traces de son père apprend à marcher comme lui». Ladage est foulé au pied dans lEcole ivoirienne. Ici, de nombreux élèves ne marchent pas du tout sur les traces de leurs pères. Et les résultats sont bien visibles. 
   Jadis, lécole ivoirienne était enviée de tous. Rigoureuse,  elle a formé une élite dhommes et de femmes conscientes, sages et respectueuses des valeurs de soumission à lautorité, de déférence à légard du maître, de discipline et damour pour le travail bien fait. Avec ces cadres, le pays a arboré une fière allure et entamé un essor fulgurant dans le concert des nations. Ces périodes fastes du système éducatif ivoirien, avec les noms de ses brillants élèves qui y ont émergé, sont désormais un lointain souvenir, enfermées dans les livres fermés des élèves daujourdhui. De plus en plus, la médiocrité sinstalle. Le seuil des moyennes pour passer en classe supérieure est passé de 12 à 10 sur 20, voire moins. Les sujets des examens de fin dannée sont de plus en basiques pour octroyer les diplômes au plus grand nombre. Dorénavant, dans notre société, le diplôme semble primer sur la compétence. Mais à quoi sert un diplôme décerné à tout venant, qui nest pas la mesure des connaissances réelles du récipiendaire ? 
   Evidemment, les élèves, encouragés dans cette guerre contre leur propre succès, orchestrent des manifestations pour perturber les cours en vue de congés anticipés. Dans cette situation, les responsabilités sont partagées : la famille, cellule embryonnaire de la société, na plus un regard particulier sur le rendement scolaire des enfants et leur comportement en dehors du cadre familial ; lEcole fait preuve de laxisme, en rabaissant le niveau de lévaluation, symbole de la rigueur du système éducatif ; les médias ne présentent, généralement, que les modèles amoraux et incultes à la jeunesse qui les copie. Or, feu Nelson Mandela lenseigne : « Léducation est larme la plus puissante pour changer le monde ». Vivement donc, le retour aux bonnes habitudes pour sauver la jeunesse ivoirienne. 
                                                                                                                                        Drabo Alassane